Panier
0,00 
0,00 

Artemisia Online - Article

Un air de famille

Cette jeune demoiselle est en ce moment présentée au Rijksmuseum d’Amsterdam à l’occasion de l’exposition Vergeet Me Niet / Remember Me (Ne m’oubliez pas), où les portraits de la Renaissance nous interpellent au fur et à mesure des salles (Fig. 1). Elle se trouve, adéquatement, dans la section « Pray for me », ou «

Fig.-5-Albrecht-Durer-Autoportrait-a-28-ans-huile-sur-panneau-de-bois-66-cm-x-49-cm-Alte-Pinakothek-banner

Cette jeune demoiselle est en ce moment présentée au Rijksmuseum d’Amsterdam à l’occasion de l’exposition Vergeet Me Niet / Remember Me (Ne m’oubliez pas), où les portraits de la Renaissance nous interpellent au fur et à mesure des salles (Fig. 1).

Fig. 1, Albrecht Dürer, Portrait de femme aux cheveux lâchés, 1497, aquarelle sur toile, 56,3 x 43,2 cm. Frankfurt a. M., Städel Museum

Elle se trouve, adéquatement, dans la section « Pray for me », ou « priez pour moi » : nous sommes en effet devant une femme à l’attitude pieuse, les mains jointes, la tête baissée, les paupières mi-closes. Dans beaucoup d’œuvres de l’époque, le fidèle portraituré adresse sa prière directement à un personnage saint également visible dans la composition, parfois sur un autre pendant. Ici, le modèle a une attitude plus introspective. Dürer a sans doute synthétisé la représentation traditionnelle du portrait en prière en associant directement la jeune femme a un personnage saint : elle est comparée dans l’exposition à la Vierge Marie. Son attitude rappellerait la mère du Christ dans l’iconographie de l’Annonciation. Les cheveux détachés, un détail qui est peu souvent croisé dans les portraits de l’époque, se retrouve chez le personnage biblique. Cependant, l’absence de voile sur le tableau de Dürer, un accessoire important pour l’identification de la Vierge, nous indique qu’il s’agit de quelqu’un d’autre. La comparaison avec la Vierge Marie était peut-être implicite, afin d’associer la jeune fille aux vertus du personnage de la Vierge. 

Fig. 2, Gregor Erhart, Sainte Marie Madeleine en extase (1515-1520), bois de tilleul, Musée du Louvre, Département des Sculptures du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, RF 1338

Un autre parallèle vient à l’esprit : la chevelure de Marie Madeleine pénitente. La sainte renie les richesses matérielles après la mort du Christ et passe le reste de sa vie en ermite. Le personnage est souvent représenté dans l’iconographie religieuse de l’époque, et sa longue chevelure blonde est un attribut saisissant. La sculpture du compatriote de Dürer, Gregor Erhart, en est un exemple grandiose : Sainte Marie Madeleine en extase au musée du Louvre (fig. 2). Ce chef-d’œuvre était à l’origine suspendue à la voûte de son église, accompagnée des angelots qui l’emmènent au ciel. La sainte, nue sous sa longue chevelure, est en même temps une figure sensuelle répondant au canon renaissant et antique, et un modèle de foi chrétienne – un mélange étonnant. La cascade capillaire dorée et ondulé était pour les fidèles un attribut évident ; sur certaines représentations, Marie Madeleine est complètement hirsute, en référence au miracle selon lequel, pour cacher sa modestie pendant sa vie d’ermite, tout son corps se couvre de poils (fig. 3).

Fig. 3, Tilman Riemenschneider, Marie Madeleine hirsute avec des angelots, c.1490, sculpture sur bois, Bayerisches Nationalmuseum

Dürer cherche donc peut-être à associer son sujet avec ces personnages bibliques pour illustrer sa piété. Des cheveux lâchés peuvent aussi être le signe que le modèle est jeune, pas encore en âge de se marier ; sa robe modeste associée à une chemise couvrant pudiquement son décolleté, à la mode de Nuremberg, ainsi que le bandeau décoré de perles et le rosaire de corail dans sa main, tendent également à y voir le portrait d’une personne spécifique. Ce fait est confirmé par le fait que l’œuvre ait un pendant, un autre portrait : Jeune femme aux cheveux attachés, exécuté sur le même support atypique dit Tüchlein (aquarelle sur toile, fig. 4).

Fig. 4, Albrecht Durer, Jeune femme aux cheveux attachés (1497), 56,5 x 42,5 cm [1471 – 1528], Gemaldegalerie Berlin

L’attitude du modèle est ici bien plus audacieuse : elle nous regarde droit dans les yeux. Certains ont suggéré qu’il s’agissait de la même femme, avant et après un moment décisif de sa vie ; d’autres voient la possibilité de reconnaître les sœurs du peintres, Anna et Agnes, de respectivement quinze et dix-huit ans en 1497, ce qui pourrait correspondre à leur différence de costume, de coiffure, et au caractère peu formel des modèles dans leurs attitudes. Sans aucun doute, on observe une similitude (un air de famille ?) dans la forme du visage, le menton et les arcades sourcilières. D’ailleurs, la flamboyance capillaire serait alors de famille, puisque la chevelure de la jeune fille de Frankfurt rappelle avant tout celle du peintre lui-même, dans son autoportrait de 1500 (Fig. 5). L’une des caractéristiques mémorables de l’œuvre est sans aucun doute sa crinière longue, blonde et définie au cheveu près, tout comme les poils de sa barbe ou de la fourrure de son manteau (fig.5a). Sa pose évoque les représentations du Christ de l’époque, notamment l’iconographie du Salvator Mundi :  de face, le regard qui nous interpelle, la main levée.  Si le lien familial ne pourra sans doute jamais être prouvé avec certitude, le style de l’artiste et son ingéniosité iconographique lie à tout jamais ces deux figures par une esthétique et une piété commune.

Fig. 5, Albrecht Dürer, Autoportrait à 28 ans, huile sur panneau de bois, 66 cm x 49 cm, Alte Pinakothek
Fig. 5a, Albrecht Dürer, Autportrait à 28 ans (détail)
Image de Sarah Moine

Sarah Moine

Après des études en histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, Sarah Moine a complété son Master à l’université de Leyde où elle a pu parfaire sa spécialisation en art hollandais, notamment à travers un mémoire de recherche sur les natures mortes dans la peinture des Pays-Bas du Nord. Une formation en paléographie lui a permis de débuter ses recherches pour sa thèse en cours concernant la production artistique de la ville de Leyde entre la fin du XVIème et le début du XVIIème siècle. Elle a notamment participé à l’élaboration de l’exposition Pilgrims to America au musée du Lakenhal (2020), ainsi qu’au projet de recherche Leidse Kunstambachten (les arts et artisanats à Leyde) organisé par le RKD, le centre de documentation national pour l’histoire de l’art (La Haye). Elle travaille actuellement au Pilgrim Museum (Leyde), où elle présente les collections XVIIème siècle et médiévales au public. Ses publications incluent une entrée pour le Dictionnaire des Pays-Bas au Siècle d’Or (ed. Catherine Secretan, Willem Frijhoff, 2018) et un essai sur les natures mortes dans le catalogue Intellectual Baggage (Jeremy Bangs, 2020).
Giovanni-Antonio-Canal-La-Reception-de-lambassadeur-francais-Jacques-Vincent-Languet-comte-de-Gergy-au-palais-des-Doges-le-4-novembre-1726-Musee-de-lErmitage-Artemisia
Artemisia Mag
Tatiana Mignot

L’art de recevoir à Venise

La Sérénissime nous émerveille depuis bien longtemps. Au XVIIIème siècle, c’est une véritable fascination qu’elle exerce sur l’Europe. Venise brille pourtant de ses derniers feux;

Lire la suite »
Fig.-1-Donatello-Madone-Pazzi-1425-1430-Marbre-745-×-695-cm-Bode-Museum-Berlin
Artemisia Mag
Sarah Moine

Vierge à « l’enfant »

Le Palazzo Strozzi et le Musée National du Bargello de Florence organisent conjointement cette année une exposition exceptionnelle consacrée à l’artiste de la Renaissance Donato

Lire la suite »
Chateau-royal-de-Blois-vue-de-haut-–-Artemisia-Online
Artemisia Mag
Fanny Laruaz

Châteaux de la Loire

Le château de Blois est l’un des châteaux incontournables de la vallée de la Loire. Il s’impose par son caractère harmonieux. Son architecture mêle les

Lire la suite »
Judith-Leyster-Autoportrait-au-chevalet-1633-–-National-Gallery-of-Washington_banner
Artemisia Mag
Sarah Moine

Femmes au travail

Assise avec assurance à son chevalet, Judith Leyster (1609-1660) nous regarde droit dans les yeux, un sourire aux lèvres et la bouche entrouverte, prête à

Lire la suite »
Le-Concert-au-bas-relief-Valentin-de-Boulogne-Artemisia-Online-Tatiana-Mignot-Alcool-Triste-e1678204637349
Artemisia Mag
Tatiana Mignot

Alcool triste

La fête est finie. Le cœur n’y est plus dans ce tableau de Valentin de Boulogne. Un violoniste, une guitariste, un luthiste accompagnés de deux

Lire la suite »
Charles-Ray-Horse-and-Rider-Pinault-Collection-Artemisia-Online-Amelie-Sabatier
Artemisia Mag
Amélie Sabatier

Cavalier Charles Ray

Devant la Bourse de Commerce, qui accueille désormais la collection d’art contemporain de François Pinault, se dresse un étrange cavalier. Tout en métal (en acier

Lire la suite »
Edouard-Manet-Le-Dejeuner-sur-lherbe
Artemisia Mag
Artemisia

La Censure dans l’Art

Au cours de l’histoire, la censure a été utilisée pour des raisons politiques, religieuses ou morales, dans le but de maintenir l’ordre social.Depuis le XXe

Lire la suite »
Plus de publications à afficher
[login_fail_messaging]

Se connecter