Jean-Honoré Fragonard est sans doute l’un des artistes qui incarne le mieux ce que l’on pourrait appeler « l’esprit rococo » : légèreté, sensualité voire érotisme s’invitent dans ses œuvres. Si cette veine séduit le public du XVIIIe siècle, elle est peu à peu dévalorisée au profit d’un autre courant : le néoclassicisme.
La commande
Un projet reflète cette évolution : le cycle réalisé par Fragonard pour Madame du Barry, la favorite de Louis XV, en 1771 pour le pavillon de Louveciennes. Ce pavillon de musique néoclassique avait été réalisé par Claude-Nicolas Ledoux. Articulée en quatre panneaux, la commande représentait des moments du jeu amoureux entre deux amants : La rencontre, Rêverie, La poursuite, L’amant couronné.
Alors, si la favorite du roi passe commande à Fragonard, en quoi cela représente-t-il le déclin de sa manière ?
Tout simplement parce que les panneaux lui sont retournés par la commanditaire. Est-ce le style est trop démodé, Madame du Barry souhaite peut-être faire place neuve pour la manière néoclassique montante ? Ou bien certains courtisans ont voulu lire dans le thème de Fragonard une référence aux amours entre Louis XV et sa favorite, voire pire… aux rumeurs qui courent sur son passé de prostituée. Finalement, c’est un autre artiste qui aura à charge de réaliser un nouveau décor, sur le même thème : Jean-Marie Vien. Sa proposition : des compositions amoureuses à l’antique, parfaitement inscrites dans la nouvelle esthétique néoclassique.
Le testament artistique
Avec la Révolution, Fragonard quitte Paris pour sa ville natale de Grasse. Il emporte avec lui ses fonds d’atelier et notamment les panneaux réalisés pour Madame du Barry vingt ans plus tôt. A Grasse, il se remet au travail : loin de rejeter son œuvre, il l’enrichit, la fait vibrer, la complète à l’aide de petits amours voletant. Pour certains, ces ajouts teintent l’œuvre d’une certaine mélancolie : l’artiste est très affectée par la mort de sa fille, Rosalie, âgée de 18 ans.
Testament artistique de l’artiste, ce cycle est l’un des derniers représentants de cette esthétique rococo – alors même que la Révolution voit l’avènement de David et de son école – et clôture brillamment la carrière de Fragonard.
Malheureusement, on serait bien en peine aujourd’hui de grimper sur les hauteurs de Grasse pour découvrir ce superbe ensemble. Ils ont été vendus en 1898 par les descendants du cousin de l’artiste, à qui la maison appartenait. Après avoir fait la joie de JP Morgan, ils sont rachetés par Henry Clay Frick en 1913 et sont depuis présentés dans sa maison, transformée en musée, à New York.
Visuel principal : Salle Fragonard à The Frick Collection, New York