C’est un petit garçon qui, malgré sa fraicheur et son regard espiègle, a comme un air de déjà vu. Pourtant, le jeune John Crewe n’est pas vraiment une célébrité. C’est autre chose qui provoque cette impression chez le spectateur, et cette autre chose c’est le costume. Joshua Reynolds représente son petit modèle tel qu’un de ses prédécesseurs, Holbein le jeune, figura le roi Henri VIII.
“La gaieté enfantine” du terrifiant Henri VIII
Rien d’irrévérencieux cependant, il s’agit, bien au contraire, à la fois de flatter le modèle mais aussi le spectateur. Ne ressent-on pas une certaine fierté à reconnaître la référence ? Bien évidemment, seuls les initiés seront capables de faire le lien. Cependant, du haut de ses trois ans le petit garçon n’a rien du caractère terrifiant d’Henry VIII. Au contraire, accompagné de deux petits chiots turbulents, il sourit joyeusement au spectateur comme s’il venait de nous faire une bonne blague. Quel contraste avec le modèle d’origine ! Horace Walpole, écrivain et mécène, n’écrira-t-il pas que le peintre sut métamorphoser «l’arrogance vaniteuse et colossale de Henry VIII en la gaieté enfantine de Master Crew » ?
C’est là tout le talent de Joshua Reynolds, dresser le portrait de cet enfant sans lui donner la morgue des portraits d’adulte. Car telle est la question : comment donner dignité et stature à ces petits êtres qui certes, représentent de grandes lignées aristocratiques mais qui n’ont pour toute qualité que la candeur de l’enfance ? Le déguisement est une solution. Qu’il soit littéraire, historique ou mythologique, il permet à la fois d’inscrire la représentation dans un registre noble et en même temps de donner un trait d’humour au genre rigide du portrait.
D’ailleurs, quelques petits détails renvoyaient le spectateur contemporain à la réalité. Les chaussures de l’enfant ou alors le tabouret aux pieds cannelés déjà dans l’esprit néo-classique, n’ont rien du XVIème siècle ! John joue bien à être ce qu’il n’est pas encore ! Tout comme les petits chiens, qui l’accompagneront plus tard dans le loisir de l’aristocratie par excellence, la chasse. Mais pour le moment nos grands veneurs n’en sont pas encore là, on se gratte, on renifle, bref on profite du temps de l’enfance.
Un moment privilégié de la vie
Reynolds se fait avec bonheur l’interprète du nouveau regard sur l’enfant qui nait au XVIIIème siècle. À la suite des écrits de Jean-Jacques Rousseau notamment, ces petits ne sont plus considérés uniquement comme les maillons d’une lignée mais comme des êtres à part entière, à l’individualité propre et l’enfance un moment privilégié de la vie, important dans la construction du futur adulte qu’ils seront. On comprend donc pourquoi ce tableau fut particulièrement apprécié en 1776 lorsque de son exposition à la Royal Academy.