Jean-Honoré Fragonard, Le Billet doux ou La Lettre d’amour
Huile sur toile, Vers 1775, New York, The Metropolitan Museum
L’œuvre est charmante et la jeune femme qui accueille le spectateur tout autant. Seul le petit bichon semble inquiet de nous voir là dans les couloirs du Metropolitan Museum of Art de New York. Ces deux là auraient-ils un secret à cacher ?
Des élans amoureux
Ce tableau nous montre tout le talent de l’artiste, Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) qui s’est fait une véritable spécialité de ces jeunes femmes si vivantes et vibrantes. Tournant le dos à la peinture d’histoire, le grand genre, « Frago » se complait dans la représentation des joues roses, des élans amoureux. Il semble que cela paie mieux. En fréquentant l’atelier de François Boucher, autre grand nom de la peinture du XVIIIème siècle, Fragonard a rencontré Pierre-Antoine Baudouin. Plutôt méconnu du public aujourd’hui, Baudoin s’était fait en son temps une jolie réputation de scandale, en figurant des scènes érotiques dans des intérieures bourgeois. Fragonard en a retenu la leçon.
Le peintre nous ouvre ici la porte d’un charmant cabinet où une jeune élégante s’est réfugiée pour lire son courrier. Un bouquet de rose accompagnait le billet qu’elle tient encore à la main. Y-a-t-il besoin de plus pour deviner la teneur de cet échange épistolaire ? Car la dame a bien l’intention de répondre, le papier est déjà sur la table ! Toute à son bonheur, elle ne semble pas surprise de nous voir, bien au contraire : son corps qui se tourne vers le visiteur et le cadrage très rapproché nous incluent dans l’espace pictural comme si cette jeune femme voulait partager avec nous sa bonne fortune.
La palette chaude de « Frago »
On ne se ferait pas beaucoup prier pour entrer dans le tableau, tout y semble bien agréable.
La palette chaude et les coups de pinceaux soyeux donnent un aspect bien confortable à cette pièce qui devait évoquer au commanditaire son propre intérieur. De même, la mise de la jeune femme que Fragonard détaille avec précision (il n’y a qu’à regarder les engageantes de dentelle ou cette charlotte ornée de rubans et de voile de gaze qu’elle porte sur la tête) ne devait pas dépareiller dans les salons mondains du XVIIIème siècle ; tout comme le sujet du tableau reconnu par les amateurs comme hérité de la tradition hollandaise du XVIIème. Gabriel Metsu, Gerard ter Borch, Johannes Vermeer ont exploité ce thème avant l’artiste français. D’ailleurs, au moment où Fragonard réalise son tableau, la peinture hollandaise était très en faveur auprès des collectionneurs, avec un tel sujet notre artiste était assuré de plaire. On peut même dire qu’il remet le thème de la correspondance amoureuse au goût du jour avec sa patte, un style bien moins léché que celui de ses collègues du Nord.
Alors évidemment, il y a une question que l’on se pose : qui est-elle, qui est cette jeune femme ? Au risque de briser des coeurs, nous ne le savons pas. L’adresse sur l’enveloppe est à peine visible. Pour certains, on pourrait lire « Monsieur. Mm Cuvili… » Et de là, les esprits s’emballent : ne serait-ce pas Madame Cuvillier ? Et qui était cette Madame Cuvillier ? La jeune veuve de Pierre-Antoine Baudouin qui s’est remariée. Aussi croustillante que soit cette hypothèse, rien d’autre ne vient la confirmer et l’identité de cette jeune femme si avenante reste un mystère.