Lorsqu’il arrive à Paris en 1906, Amedeo Modigliani (1884–1920) se fait immédiatement une place dans la bohème artistique. L’écrivain Blaise Cendrars se souvient : « Modigliani était beau, divinement beau. Il était habillé comme les jeunes italiens qui sortent des mains d’un tailleur italien. Il portait une gabardine cousue main, pincée à la taille, avec des manchettes qui bougeaient quand il gesticulait, or il gesticulait beaucoup ! »
Beau, orageux, généreux, mais aussi cultivé et incroyablement doué, le jeune homme est immédiatement reconnu par ses pairs.
Pourtant, ce n’est pas une chose aisée que de se faire une place dans la capitale des arts en ce début de XXe siècle ! En 1905, Matisse a fait scandale au Salon d’Automne avec ses peintures dites « fauves », aux couleurs flamboyantes. Dès 1907, Picasso répond avec les Demoiselles d’Avignon au dessin acéré. Comment trouver sa place entre ces deux mastodontes ? Modigliani lui, n’est pas très sensible au rugissement des couleurs fauves ni à l’éclatement cubiste des formes. Ses premières peintures témoignent plutôt d’un intérêt pour Toulouse Lautrec et sa capacité à donner une profondeur psychologique à ses personnages.
La rencontre décisive sera celle de Constantin Brancusi, sculpteur roumain qui fait sa carrière à Paris. Ce dernier l’encourage à pratiquer la sculpture, pour laquelle le jeune italien se passionne depuis toujours. Contrairement aux artistes de l’académie qui ont pris l’habitude au XIXe siècle de ne faire que modeler la terre ou le plâtre pour ensuite laisser aux praticiens ou aux artisans de Carrare le soin de réaliser la sculpture définitive en marbre, ou autre matériau dur, Brancusi pratique la taille directe, la confrontation à la matière, le corps à corps avec l’œuvre en gestation. A sa suite, Modigliani va se lancer dans ce mano a mano avec la matière brute.
Explorant toujours le visage humain, il sculpte des têtes en pierre, et en marbre.
Les œuvres qu’il produit offrent à voir une modernité nouvelle : des yeux en amande, les sourcils marqués, un nez géométrisé et une petite bouche ; autant d’éléments qui réinventent la représentation du corps humain. Modigliani abandonne la vision classique de l’imitation de la nature pour chercher l’essence de son sujet, une puissance mystérieuse qui donne à ses sculptures une dimension quasi mystique.
Ce style innovant doit beaucoup aux œuvres Khmères et aux statues africaines qu’il découvre au musée ethnographique du Trocadéro ainsi qu’à une fréquentation assidue des collections égyptiennes du musée du Louvre.
Ces sculptures sont fascinantes et Modigliani s’épanouit dans ce travail. Mais il tousse… beaucoup… et de plus en plus. De santé fragile, ses poumons malades ne peuvent supporter la poussière générée par la taille directe. Il met du temps à renoncer, mais il faut bien l’admettre : il se tue en sculptant.
Il s’adonne alors définitivement à la peinture. Mais les figures qui surgissent gardent ce côté immobile et sculptural de son œuvre en volume.
En 1915, il réalise un portrait de sa maitresse, la journaliste et écrivaine Béatrice Hastings : le cou plus long que nature, le visage ovale, les yeux comme deux amandes noires. On y reconnait le style désormais arrivé à maturité de Modigliani, qui mêle primitivisme et modernité, parvenant à réaliser des portraits, sans céder à l’impératif classique d’imitation du sujet. Peu à peu, le peintre livournais s’impose à Montparnasse, comme le portraitiste des avant-gardes. Soutine, Kisling, Rivera ou encore Picasso, Modigliani les peint tous, montrant sa capacité à se renouveler toujours, au sein d’un même genre pictural.
S’il n’a pas pu s’exprimer dans la pierre autant qu’il l’aurait souhaité, sa peinture se fait l’écho de ce désir, de ce gout prononcé pour la forme, dans laquelle il synthétise ses multiples influences.