« Il y a décidément trop de monde au Louvre aujourd’hui » pourrait-on entendre. Les Parisiens se sont précipités en nombre pour admirer le tableau que l’amateur ne manquera pas de reconnaitre, Le sacre de Napoléon, chef-d’œuvre de Jacques-Louis David. Il faut dire que le Salon est un évènement que l’on ne manque pas ! Cette exposition est à la fois un moment d’art, un moment mondain et populaire, on s’y rend en famille. Certains consultent leur guide pour identifier les personnages représentés, un jeune homme semble expliquer le tableau à sa compagne, d’autres pointent leur tricorne pour désigner un détail. Avec ses six mètres sur dix, le Sacre est un véritable spectacle. Le peintre, Louis-Léopold Boilly, a d’ailleurs demandé la permission à David, très flatté, de reproduire son œuvre.
Toutefois, ce n’est pas tant le tableau dans le tableau qui attire notre attention et celle de l’artiste, que la foule dense des spectateurs. Si David nous a laissé le spectacle de l’Histoire, la grande histoire, Boilly, lui, a capturé le spectacle de ses contemporains. Son pinceau détaille avec délice les costumes et les attitudes. Arrivant à Paris juste avant la Révolution, l’artiste a traversé la Terreur, l’Empire, la Restauration et saisit l’opportunité de ces changements profonds de la société pour donner à la scène de genre une ambition inédite.
Regardons de plus près Le Public au Salon du Louvre regardant le tableau du Sacre, oui regardons le bien car son sujet est précisément : le regard ! Ou plutôt l’acte de regarder. Si certains sortent leur lorgnette pour observer Le Sacre, d’autres n’en ont cure et ont des préoccupations différentes, telle la jeune femme qui observe avec attention l’officier derrière elle, ou l’homme qui se tourne vers le spectateur, lui rappelant d’ailleurs que lui aussi regarde un tableau ! L’artiste lui-même s’est figuré écoutant attentivement son interlocuteur à droite du tableau.
Tout au long de sa carrière, Boilly n’a cessé de poser la question du regard. Dans ses portraits le modèle nous regarde, il nous donne à voir ses contemporains dans ses scènes de genre ou trompe l’œil littéralement, c’est lui qui invente le terme, par ses capacités techniques.
Avec Le Public au Salon, le peintre se montre aussi opportuniste et nous rappelle que la peinture est un art mais aussi un commerce. Il faut vendre, se démarquer. Ce tableau est une jolie stratégie de la part de Boilly, qui en exposant son œuvre, attire l’attention du public grâce au chef-d’œuvre de David et espère bien réunir la même foule devant sa propre peinture, tout en rendant hommage à l’empereur.
Malheureusement pour l’artiste, l’Histoire court plus vite que son pinceau. Il termine son tableau juste avant que l’empereur ne se sépare de l’impératrice Joséphine, celle-là même dont le couronnement est représenté par David. Dommage, c’était bien essayé…
Surtout que notre artiste est un ambitieux. En se confrontant au grand genre, la grande peinture d’histoire pratiquée par David, il démontre qu’un petit peintre de scène de genre peut être aussi doué. Certes son tableau n’a ni les dimensions ni la grandeur du Sacre mais il représente l’histoire moderne. Pour Boilly, la vie quotidienne, les anonymes méritent la même attention que la grande Histoire. N’est-ce pas révolutionnaire comme manière de concevoir la peinture ?