La notion d’artiste était très différente au Moyen-Âge. Elle n’avait pas la même signification qu’aujourd’hui. Le terme « art » en latin ou « techne » en grec désigne d’une manière neutre, sans jugement de qualité, les différents arts qui peuvent aller de la peinture à la médecine en passant par la rhétorique ou la fabrique de couteaux. La distinction entre artiste et artisan n’est donc pas évidente lorsque l’on aborde la période médiévale.
Le mot « artiste » tel que nous l’entendons de nos jours n’avait pas le même sens au Moyen-Âge. Il servait à désigner les étudiants et les enseignants qui fréquentaient la faculté des Arts libéraux où l’on étudiait la grammaire, la rhétorique, la dialectique, l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie.
Le terme utilisé pour nommer ceux qui créaient de leurs mains était celui d’artifex ou d’artisan. Les œuvres médiévales étaient très souvent composées à plusieurs dans le cadre d’un atelier qui se composait d’un maître ou bien d’un ou deux compagnons, aidés par quelques apprentis. Avec le système du compagnonnage d’usage à l’époque, un artisan était d’abord un apprenti auprès d’un maître, pendant sept ans, avant de réaliser un chef d’œuvre. Cela lui permettait d’obtenir l’habilitation de sa corporation qui fixait les règles dans l’exercice de son métier. Ce n’est qu’à la Renaissance que certains orfèvres, peintres, vitriers et sculpteurs s’émancipèrent du carcan de la corporation pour se tourner vers des Académies ; ils s’arrachèrent à l’artisanat grâce aux théories antiques et recherchèrent l’aide financière de mécènes, ce qui amena vers une conception plus individuelle de la création.
Le mythe de l’anonymat des artistes médiévaux a longtemps fait croire à une société dans laquelle les peintres, les sculpteurs ou les architectes œuvraient dans l’ombre d’une activité collective. Pourtant il n’en était rien : les œuvres n’étaient pas le fruit du travail d’artisans anonymes ; ils étaient connus à leur époque, et les églises étaient pleines de signatures d’artistes, placées aux endroits les plus stratégiques de l’édifice, près de l’autel, ou sur le tympan. Nous pouvons citer Bernard Gilduin et Gilabertus à Toulouse, Wiligelmo à Modène ou encore Gislebertus qui signa au milieu du tympan de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun, juste sous les pieds du Christ. Nous n’avons pas de documents pouvant nous indiquer s’il était sculpteur, architecte ou maître d’œuvre, mais il est certain qu’il réalisa un travail de grande envergure, coûteux et prestigieux, qui lui assura probablement une reconnaissance de son temps.
Toutefois, il ne faut pas oublier que nous n’avons conservé qu’une infime partie de l’œuvre artistique médiévale. La très grande majorité des œuvres d’art de cette période nous sont parvenues sans signature car le nom de leur auteur s’est souvent perdu avec le temps. Celles gravées dans la pierre ou incrustées sur les mosaïques nous sont plus facilement parvenues mais il nous manque la plupart des noms qui figuraient sur les peintures. Cette absence de signature ne signifie pas que le statut d’artiste tel qu’on l’entend aujourd’hui n’était pas reconnu ; cette absence tient plus au hasard de leur conservation et de leur transmission qu’à la modestie de leurs auteurs.
Les archives nous livrent également un nombre considérable de noms d’artistes, principalement pour la fin du Moyen-Âge, mais il demeure cependant difficile de les associer aux œuvres conservées. De nos jours, l’historien est confronté d’un côté à des archives, de l’autre à des œuvres, avec très peu de concordance entre les deux. C’est très souvent grâce à un ou quelques documents que les chercheurs parviennent à rattacher une œuvre à un artiste et qu’ensuite, par regroupement stylistique, d’autres œuvres peuvent lui être attribuées. Il arrive aussi que nous ayons des œuvres signées mais aucune information sur celui qui réalisa l’œuvre comme à la cathédrale Saint-Lazare d’Autun du XIIème siècle ou pour ce panneau peint daté de 1482 représentant la Cène. Il est signé « Godefroy », un artiste dont nous ignorons par ailleurs tout. Il est connu uniquement pour cette œuvre qui, pendant plus de trois siècles, orna la chapelle d’un monastère de Chambéry.