L’invention d’un nouveau répertoire ornemental qui entraine la structure des formes et de l’espace dans des formules inédites, caractérise le goût pour l’innovation de la première moitié du XVIIIe siècle. L’ornement rocaille a longtemps symbolisé, tout du moins depuis le XIXe siècle, le style caractéristique d’une époque circonscrite aux fêtes galantes (Watteau, Marivaux), concomitante de la Régence (1715-1723) de Philippe d’Orléans (1674-1723), et de la première moitié du règne de Louis XV (1715-1750 env.). La rocaille se définit comme un ornement composé de formes figuratives : feuilles (chicorée, palme), tiges, fleurs, coquilles, parfois associées à des citations zoomorphes ou fantastiques (aile, dragon, chimère). La référence aquatique, la découpe en écaille, l’aspect coulant des concrétions rocailleuses ou coraliennes expliquent son nom. Opposé à l’ornement classique, il suggère le mouvement, le libre assemblage, et s’appuie sur un schéma de composition asymétrique. Plutôt que le volume, la sculpture valorise le dessin graphique et ascensionnel des formes. La ligne serpentine, l’asymétrie, sont, avec les formes naturalistes, les constantes du motif rocaille.
Meubles et arts métalliques
Les décors des lambris, l’intégration du meuble dans l’agencement des espaces, les nouveaux types de sièges (fauteuils de repos, chaises de dîner, canapés…) ou de tables (consoles d’angles, encoignures, chiffonniers, guéridons, secrétaires, bureaux à cylindre) caractérisent l’art d’une société éprise d’élégance, de luxe, de confort, de liberté intellectuelle et morale. Favorisée par le commerce maritime, l’introduction de bois précieux (acajou, palissandre, bois de rose, ébène) et l’exotisme (laque chinois ou vernis Martin), diversifient la polychromie des surfaces, déjà mise à la mode à la fin du XVIIe siècle. La marqueterie des meubles s’enrichit de saynètes pittoresques, de paysages, de fleurs, de chinoiseries, encadrés de motifs végétaux sculptés en bronze doré. La forme bombée des tiroirs, les découpes sinueuses des dessus en marbre, les pieds galbés, les bras en S des fauteuils témoignent du triomphe de la ligne serpentine, de la courbe et de la contre-courbe.
Parallèlement aux ébénistes Charles Cressent, Antoine Gaudreaux, Van Risen Burgh, Migeon ; les orfèvres comme François-Thomas Germain et les sculpteurs bronziers comme Jacques Caffieri, interprètent les modèles des ornemanistes Oppenord, Meissonnier, ou des frères Slodtz…. Paris conquiert la première place du commerce d’art et devient la capitale du goût et du bon ton.
La céramique
La porcelaine importée de Chine par les Hollandais et les Portugais dès le XVIIe siècle, la création de la Compagnie des Indes orientales en 1719, favorisent le triomphe de ce goût dans le royaume de France. Toute la société des Lumières rêve de mandarins, de dragons et de fleurs exotiques.
Les objets en céramique adoptent l’ornement rocaille et s’inspirent ouvertement des modèles donnés pour l’orfèvrerie, sans rien omettre des formes traditionnelles en usage dans la vaisselle courante, comme le démontrent les créations de Moustiers, Rouen et Nevers (assiettes rondes, plats ovales décorés d’arabesques et de lambrequins). Pourtant, ce sont les bibelots ou les pièces de luxe qui signalent les influences des ornemanistes rocaille (pots à oille, terrines, théières, cafetières, brûle-parfum, écritoires). La renommée d’une fabrique dépend de la qualité du travail : éclat de l’émail, précision et élégance du dessin et du modelé, luminosité, variété du coloris.
Autour de 1740, la technique dite « au petit feu » se généralise, avec une production disséminée (Strasbourg, Niederviller, Marseille, Sceaux, Lunéville). Auparavant, en 1709, l’Allemand Bötger avait retrouvé le secret de fabrication de la porcelaine dure, à pâte translucide et vitreuse. La manufacture de Meissen diffusera largement cette porcelaine dite « de Saxe » ; en France Chantilly et Vincennes créèrent les modèles les plus prisés, grâce, pour cette dernière, à la découverte de gisements de kaolin en Limousin en 1770.
image d’illustration de l’article : Jacques de Lajoue, Gabriel Huquier (graveur), Dessin d’ornement, Paris, 1734